C’est un rêve qui hante de nombreux photographes de faune et de nature. Photographier les grands singes, partager leur intimité et leurs interactions sociales au cœur d’une forêt tropicale est une expérience sensorielle extraordinaire. Lorsqu’on interroge les photographes qui ont vécu, à l’instar de Sébastien Meys et de Jean-Michel Krief, une telle expérience, leurs yeux brillent et leurs mots s’envolent pour tenter de décrire l’émotion et le privilège d’assister et de vivre un tel spectacle. Tous deux sont de grands connaisseurs de l’espèce et maîtrisent les enjeux liés à la préservation des primates. Jean-Michel et Sabrina Krief ont fondé (en 2006) et président depuis près de vingt ans la gestion d’un projet pour la conservation des grands singes à travers une association : The Sebitoli Chimpanzee Project. De son côté Sébastien Meys a réalisé un magnifique travail d’auteur personnel sur les gorilles qui s’est matérialisé par l’édition d’un livre, Beringei, un ouvrage richement illustré et documenté et qui s’accompagne de contenus multimédia : un film et une application. Tous deux, comme de nombreux autres faiseurs d’images tentent de sensibiliser aux enjeux de la préservation de ces espèces fragiles et accompagnent par leurs images et leurs connaissances de nombreuses initiatives pédagogiques sur la conservation de ces grands singes. Ils perpétuent quelque part l’héritage de l’icône Jane Goodall (décédée cette année, au mois d’octobre) et embrassent le symbolique devoir de lanceurs d’alerte sur la condition des grands singes. Ces espèces sont aujourd’hui menacées par le changement climatique, les maladies mais aussi l’extension d’un braconnage cupide et d’un trafic odieux. Nous avons eu l’occasion d’interroger Brent Stirton, autre monstre sacré du photojournalisme, sur les coulisses et l’impact médiatique de sa photo iconique de la dépouille d’un gorille évacuée par une brigade anti braconnage dans le Parc national des Virunga (Congo) et qui obtint avec ce cliché retentissant un World Press. L’éminente primatologue Sabrina Krief confesse l’importance des clichés de Jean-Michel, son mari dans la vie, dans ses travaux de recherche sur les chimpanzés. Plus que jamais, photographes et scientifiques mêlent leurs efforts pour que ces populations subsistent dans le futur ; un combat qui rappelle bien des dilemmes sur la question de la préservation de la faune sauvage, de leurs écosystèmes et la gestion d’un tourisme de grande masse. Cet engagement est viscéral et exprime ce rapport si singulier avec ces animaux. Croiser le regard d‘un gorille ou d’un chimpanzé, même à travers la lentille d’un objectif vous submerge. C’est comme si l’homme regardait un miroir ancestral redécouvrant dans cet abîme les arcanes de l’histoire de la théorie de l’évolution ; celle-là même qui l’a conduit à partager le sort de nos « cousins » ( vous souvenez-vous de la découverte de l’australopithèque Lucy) avant d’emprunter le destin de l’Homo sapiens. On vous invite à écouter ce débat passionnant et érudit. Il transporte en même temps qu’il interroge. Et le spectacle, en toile de fond, des images illustrant les propos de nos multiples et prestigieux invités, venus témoigner à nos micros, est une ode somptueuse à cet engagement.
Bonne écoute !

Photo : © Sébastien Meys
https://gorilles.meys-photographie.com